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Lundi 2 décembre. J'arrive pour sept heures à la boulangerie, cinq minutes avant Martin. Je lui fais remarquer qu'un bon boulanger se lève plus tôt qu'il ne le fait. Il plaisante en rétorquant qu'avec le décalage horaire, il doit être un des boulangers qui se lève le plus tôt au monde. La chaleur et l'humidité ont déjà fait légèrement monter mon levain. Je ne pense pas qu'il soit prêt pour faire un pain ; j'en incorpore néanmoins dans la pâte pour la fournée du matin. Martin me présente Naoma, qui était en vacances la semaine passée, et travaille comme vendeuse à la boulangerie. Naoma est une jeune métisse qui doit avoir un peu moins de mon âge, très jolie, très timide aussi, semblerait-il. Mes baguettes du matin sont un succès, mon levain a déjà un peu acidifié et donne un goût de pain de campagne. Martin est très fier, et la fameuse expression est brillamment vérifiée, elles disparaissent en moins de temps qu'il ne faut pour les faire ! Je négocie avec Martin le droit d'avoir un double des clés pour pouvoir faire une fournée plus tôt le lendemain matin, il accepte. Le reste de la journée est plus calme, et je ne parviens pas à attirer autant de passants que la semaine dernière. Dès la fermeture de la boulangerie, je rejoins le cybercafé. Je ne prends la relève qu'à 22 heures, mais je n'ai pas d'occupation d'ici là. La nuit est calme, et je m'endors à moitié. Je tente quand même de donner quelques renseignements voire de faire un cours sur certains points aux personnes intéressées. Quatre personnes sont des élèves assidus. Je ferme boutique au départ du dernier client, vers 4 heures du matin. Je me rends alors directement à la boulangerie pour faire mon pain. J'en fais une grosse fournée, et mon levain commence à être à point. Je dois faire très attention à le nourrir correctement, car à la moindre erreur de ma part, il risque de devenir trop alcoolique et de rendre le pain impropre à la consommation. J'ai connu à plusieurs reprises ce problème dans mes expériences passées. Martin arrive vers 7 heures et me trouve endormi près des fourneaux. Bilan, les pains sont un peu grillés. À regret je me fais passer un savon par Martin

qui m'oblige à jeter tous ceux qu'il juge invendables. Je me remets à la tâche pour une nouvelle fournée. J'y mets tout le reste de mon attention malgré la fatigue. Naoma est toute triste pour moi. Mais ma deuxième fournée rattrape la première, et des personnes viennent même en redemander après en avoir acheté une première fois.

À 15 heures je m'écroule de fatigue et décide de rentrer dormir un peu à l'auberge. Je règle le reste de la semaine et dors profondément jusqu'à 21 heures, heure à laquelle j'avais demandé à une personne de la chambre de me réveiller. Je me rends alors au cybercafé, plus réveillé que la nuit précédente, et continue mon cours à trois des personnes de la veille qui sont revenues exprès, auxquelles s'ajoutent deux nouvelles, présentes dans le cybercafé à ce moment-là. Tout se passe pour le mieux. Suite au cours je débute la rédaction de ce texte. Dans la mesure où j'ai un peu de temps devant moi, et que bien malin celui qui pourrait me dire quand je rentrerai. Je pense mettre à profit ces quelques jours de répit pour laisser par écrit tout ce qu'il m'est arrivé depuis mon départ à l'Île de Ré. Je stocke le tout dans l'espace alloué disponible pour les pages personnelles, sur un compte anodin créé sur un fournisseur d'accès quelconque. Je duplique mes sauvegardes avec un autre compte, pour être à l'abri de toute mauvaise manipulation. J'écris près de trois heures. Je ne suis pas écrivain et mon style doit s'en ressentir, plein de lourdeurs et de termes populaires, mais qu'importe, le plus important dans un premier temps est de laisser trace avant que mon souvenir ne se ternisse. J'écris vite et beaucoup. À 4 heures je ferme boutique et me rends à la boulangerie. Mercredi quatre décembre, grande journée, pour la première fois je considère que j'ai fait des progrès dans mon pain. Mon levain devient correct, et je suis plus à même de juger de la cuisson idéale. La fournée n'est pas encore parfaite, même si elle satisfait Martin, enchante Naoma et la plupart des clients. Comme la veille, je retourne dormir jusqu'au soir avant de me rendre au cybercafé. Il n'y a pas grand monde ce soir. Il doit y avoir une bonne émission le mercredi soir à la télévision australienne. Je mets ce temps libre à profit pour continuer à écrire, encore plus que la veille, près de cinq heures au total. Jeudi cinq. Je commence à être vraiment fatigué. Ma journée à la boulangerie se passe bien mais je ne rêve que de rentrer et dormir. Et je dors beaucoup, de 16 heures à 4 heures du matin.