page 392 le patriarche 393

grillé d'avance avec ces clones stériles. D'un autre côté, ce n'est peut-être pas plus mal, les pauvres mioches, la moitié se ferait bouffer par des grillés. Il vaut peut-être mieux qu'on meure rapidement ici, et que d'autre clone de nous reprennent tranquillement la vie dans la Congrégation, dans cent soixante ans... Et dire que si ça se trouve ce n'est pas la première fois, peut-être que nous avons juste subi une sorte de duplication, que nous sommes toujours là-bas, et que j'ai en fait des dizaines ou des centaines d'autres clones paumés sur des planètes diverses dans la galaxie...

Le plus dérangeant, c'est la notion du Moi, à partir du moment où je suis cloné, si les deux exemplaires restent conscient, ce sont alors deux personnes distinctes. En fait je ne suis pas vraiment ce que je crois, je ne suis que la copie d'une copie d'une copie. Est-ce que je pense vraiment comme si j'étais le Ylraw originel, celui qui, j'espère, se trouve encore dans son caisson sur la Terre, à Sydney. Non, forcément, je ne dois pas penser pareil, puisque je n'ai pas vraiment les mêmes caractéristiques, mon cerveau n'est pas pareil, je suis sans doute plus, ou moins, intelligent, mon corps ne réagit pas pareil. Je reste persuadé que notre personnalité découle principalement de l'interaction de notre physique sur notre cerveau, les hormones, les sensations, l'image que nous donnons. En fait je ne suis qu'une approximation de moi, et tant que cette approximation ne sera pas retransmise dans mon vrai corps, sur Terre, je ne suis pas sûr de redevenir moi. Ce n'est qu'à ce moment là que l'ancien moi disparaît, quand il est écrasé par le nouveau, jusqu'à ce moment j'ai toujours le risque qu'on réveille mon nouveau moi et que je reste enfermé à jamais dans les clones, et que je devienne une autre personne, puisque mon vrai moi recommencera une autre vie, une vie différente... Qui me dit, d'ailleurs, qu'il n'est pas déjà réveillé, mon vrai moi de Sydney, qu'il n'est pas déjà en train de retourner en France, qu'il n'y ait pas déjà retourné, qu'il ne vit pas paisiblement sa vie après son tour du monde, qu'il n'est pas en train d'oublier son aventure étrange sans même se douter que je suis là, à des millions d'années lumières de lui, à me morfondre ?

Bah ! Peu importe, après tout, que chacun vive sa vie, clone ou pas... Je suis bien sur une planète inconnue avec des espèces étranges à l'autre bout de la galaxie, et rien que d'avoir vu cela, et de tenter d'en réchapper, c'est déjà pas mal... Je ne me laisserai pas

mourir ici, je survivrai, je ne sais pas trop pour faire quoi, mais je survivrai, même à devenir fou.

Jour 389

Nous dormons beaucoup, et c'est le jour qui me réveille en sursaut. Le soleil n'est pas encore levé mais il ne va sans doute pas tardé. Énavila dort encore profondément, Sarah est réveillée.

- Ça va, lui dis-je.

- Oui, ça va.

- Tu as bien dormi ?

- Plus ou moins. De toute façon ses clones dorment toujours bien.

- Quelque chose te tracasse ? Comment ça ils dorment toujours bien ?

- La régulation du sommeil est un peu différente, ou plus exactement ils sont tels que le sommeil est toujours profond et reposant.

- Mais Pénoplée m'avait dit qu'ils n'étaient pas modifiés ?

- Ce n'est pas vraiment des modifications, c'est juste qu'ils sont tellement bien fait qu'ils rassemblent toutes les bonnes caractéristiques. Les clones dorment bien, tombent peu malades, ne dépriment pas, vieillissent très peu, résistent au stress...

- Qu'est-ce qu'il ne va pas, alors ?

- Rien, rien, tout va bien.

Sarah me cache quelque chose, mais elle cache tellement de chose, ce n'est pas la peine d'insister.

- Il va faire jour, tu penses qu'on devrait suivre Énavila et continuer à marcher ?

- Difficile à dire, je serais plutôt d'avis, comme toi, de nous trouver un cachette, au moins pour cette fois-ci, et aucun grillés ne