- Je suis désolée si je suis si indiscrète, peut-être ne pouvez-vous ou ne voulez-vous pas vraiment en parler ? Je ne me suis même pas présentée, je m'appelle Carole Martès.
Après tout Thomas se dit qu'il avait l'effet escompté. Il lui serra sa main tendue et se présenta :
- Thomas Berne, enchanté... Nous sortions ensemble depuis quatre ans, et elle est morte mardi de la semaine dernière...
Il soupira et laissa son regard aller dans le vide. Elle resta silencieuse un instant, n'imaginant sans doute pas que c'était aussi récent. Elle mourait d'envie de poser d'autres questions, mais elle sentait qu'elle devait le faire avec tact, décontracter l'atmosphère, ou elle ne saurait rien. Ce jeu l'amusait beaucoup :
- Je, j'ai... Et... Vous restez longtemps sur l'île ?
- J'étais venu en tentant de trouver un indice, mais autant chercher une aiguille dans une botte de foin...
Le serveur amèna finalement le plat à Thomas, mais sa discussion lui avait surtout donné soif, il demanda une carafe. Carole s'éloigna un peu, le laissant goûter ses tagliatelles au saumon. Elle prit une cuillerée de sa crème brûlée qu'elle avait à peine touchée. Elle se rendit compte qu'après tout elle n'était pas si mauvaise. Elle sentait qu'il était gêné, et si au début elle avait cru encore, comme toujours, à un de ces ennuyeux Don Juan sans conversation, c'était maintenant presque professionnellement qu'elle avait envie de savoir ses sentiments, comment il vivait cette période, comment il pouvait décrire son envie d'avancer dans l'enquête et aussi sans doute de refermer la blessure, de l'oublier...
- Mais. Qu'est-ce qui vous a fait penser que vous pouviez trouver des indices sur l'île ?
- Et bien, le jour du meurtre, une personne a vu...
Il se rendit compte à quel point sa justification était risible. Le témoignage informel d'un gamin de dix ans, mis dehors parce que sa soeur crapahutait avec son petit ami, et sans doute en
mal d'occupation, qui aurait vu une voiture de sport rouge devant chez lui... Et il se retrouvait sur l'Île de Ré parce que presqu'un an plus tôt il n'avait pas dormi pendant trois nuit en l'imaginant dans les bras d'un autre sur cette maudite île... Ce n'était pas un coupable qu'il cherchait, c'était un amant...
- Hum. À vrai dire je pense qu'il est plus raisonnable que je ne vous en dise pas trop. Rien n'est encore suffisamment clair pour que je puisse vraiment en parler.
"Mince !" se dit-elle, "Je l'ai effrayé, j'aurais dû y aller avec plus de tact"... Elle se tut un instant et prit une nouvelle bouchée de sa crême brûlée.
- Vous comptez rester longtemps sur l'île ?
- Non, je ne pense pas. Je n'ai pas vraiment d'ordre de mission je me disais juste que j'aurais peut-être trouvé des indices... Mais je ne pensais pas que l'île serait si grande, c'est pour ça que je suis un peu découragé.
Elle réalisa tout d'un coup que peut-être il l'avait menée en bateau et cherchait juste à l'appâter avec sa prétendue enquête.
- Mais, euh, excusez-moi d'insister, vous cherchez quelqu'un, ou juste un témoin, un suspect ?
Thomas eut soudain envie qu'elle le prît dans ses bras et qu'il lui racontât ses malheurs. Il se ressaisit :
- Il y a quelque mois mon amie a fait un voyage sur l'Île de Ré, et elle en est revenue changée, troublée. Je pense qu'il est possible qu'elle ait rencontré ici quelqu'un qui pourrait m'en dire un peu plus sur elle et son passé.
- Ah je comprends mieux. La personne qui a été vue dans les parages le jour du meurtre pourrait être un habitant de l'Île, c'est bien ça ?
Elle était perspicace. Thomas se dit qu'elle serait sans doute beaucoup trop compliquée pour lui. Il acquiesça tout de même :